vendredi 25 novembre 2011

Donner, c’est être riche

Cette année, la célébration de l’Avent commence ce dimanche 27 novembre 2011.

Pour nombre de chrétiens, cette période constitue une occasion pour se préparer à fêter Noël. Bien que la date en soi (le 25 décembre) ne corresponde guère à la naissance effective du Christ, les fêtes de Noël demeurent une incitation à la générosité.

A cet égard, le conte finlandais suivant me plaît infiniment. Bonne lecture ! :-)


DONNER C’EST ETRE RICHE

Sur l’une des rives du lac était une grosse ferme, sur l’autre se trouvait une petite cabane de tenancier. Le lac était glacé et la neige au-dessus tourbillonnait en nuage blanc, car c’était l’hiver et Noël.

– Père, dit la maîtresse de la plus riche des fermes à son mari, ne mettras-tu pas une gerbe de blé non battu pour les moineaux, maintenant, pour Noël ?

En hiver du blé est donné aux petits moineau

– Nous n’avons pas les moyens, répondit l’homme.

– Pourtant, nous l’avons fait tous les ans, et cela porte bonheur.

– Nous n’avons pas les moyens, répéta l’homme sèchement.

– Mais là-bas, sur le toit de la cabane du tenancier, je vois déjà une gerbe ; cependant le pauvre homme ne sème que six boisseaux, pendant que toi tu sèmes seize quintaux.

– Bavardage que tout cela, répliqua l’homme, n’ai-je pas assez de monde à nourrir sans jeter la nourriture que nous accorde Dieu à ces sottes bestioles ?

– Tu dis cela, soupira la femme, mais si ce blé est un don de Dieu, les moineaux n’ont-ils pas, eux aussi, été créées par le même Dieu ?

– Pétris donc le pain de Noël et regarde si le jambon est gras. Que nous importent les moineaux, grommela le fermier.

Ce qui avait été dit, fut fait. Dans la riche demeure il y eut, le jour de Noël, un grand festin, avec de nombreux plats, cependant que les moineaux affamés voletaient dehors, l’estomac vide, dans les tourbillons de neige.

Les moineaux et la gerbe de blé chez le tenancier….
Pendant ce temps, dans la chaumière, c’était la pauvreté à la maison et la richesse sur le toit. Car les oiseaux du ciel y volaient joyeux autour d’une gerbe de blé et les enfant avaient une grande joie à regarder au dehors, sur la neige, les fines traces des pattes des moineaux et à entendre leur gai pépiement sur le faîte du toit.

– Si nous avions battu la gerbe de blé au lieu de la donner aux moineaux, soupira la femme du tenancier, nous aurions pu avoir une miche de pain frais à donner aux enfants pour leur Noël.

– Ne sais-tu donc pas que celui qui est charitable est riche ? répondit le vieux et pieux tenancier, avec un bon regard vers sa femme chagrine.

– Mais, de là, à laisser les oiseaux du ciel manger notre pain ! soupira encore la vieille femme.

– Oui, et que dirais-tu donc si c’était les bêtes sauvages de ka forêt ? répliqua l’homme. D’ailleurs, j’ai assez épargné pour que nous puissions acheter quatre gâteaux de Noël, frais, et un pot de lait. Envoie les enfants au village avec leur traîneau sur le lac glacé, ils seront de retour avant la nuit.

– Mais s’ils rencontrent des loups sur la glace ? s’inquiéta la mère.

– Je donnerai un bon bâton à Daniel, répondit le père, il saura bien se défendre.

Ce qui fut fait, et le petit Daniel s’en alla au village avec sa sœur Anna, acheter les gâteaux et le lait. Cependant la neige s’était amoncelée sur la glace et les enfants avaient peine à tirer leur traîneau derrière eux ; il commençait déjà à faire nuit lorsqu’ils prirent le chemin du retour vers leur cabane, avec leurs provisions.

Ils avançaient du mieux qu’ils pouvaient, dans la neige, mais elle formait des tas de plus en plus hauts, la nuit était tombée et ils avaient encore un bon bout de chemin à faire avec leur traîneau.

  
Alors, quelque chose de noir remua dans l’obscurité. Cela vint de plus en plus près et les enfants comprirent que c’était un loup.

– N’aie pas peur, dit Daniel à sa sœur, j’ai un bon bâton.

Et, en disant ces mots, il leva en l’air son bâton menaçant.

Les enfants comprirent que c'était un loup 

Le loup s’approcha encore mais ne chercha pas à faire du mal aux enfants. Il gémissait seulement, et d’une manière si étrange que cela formait des mots qu’ils comprenaient.

– Il fait si froid, si froid, disait le loup, et mes petits louveteaux n’ont rien à manger ; donnez-moi un peu de pain, pour la miséricorde de Dieu.

– Puisque c’est ainsi, dit Anna, nous voulons bien te donner deux de nos gâteaux ; pour nous, nous mangerons du pain dur ce soir ; mais père et mère doivent avoir chacun leur gâteau de Noël.

– Grand merci, dit le loup, et il se glissa dans le bois avec son cadeau.

Les enfants reprirent leur marche, mais au bout de quelques instants ils entendirent de nouveau, derrière eux, des pas furtifs et cette fois, c’était un ours.

Cette fois c'était un ours

L’ours grommelait en son langage quelque chose que les enfants avaient bien du mal à saisir ; à la fin cependant ils comprirent que lui aussi demandait un cadeau de Noël.

– Il fait si froid, si froid, disait-il, toutes les sources sont gelées ; mes pauvres petits oursons n’ont rien à boire. Donnez-moi un peu de lait pour la miséricorde de Dieu.

– Et quoi maintenant ? dit Daniel, pourquoi ne dors-tu pas dans ta tanière comme le font les autres ours en hiver ? Mais c’est ton affaire. Nous te donnons la moitié du lait. Anna et moi, nous pourrons bien boire de l’eau ce soir, pourvu que papa et maman aient quelque chose de bon pour leur Noël.

– Grand merci, dit l’ours.

Puis il prit le lait dans un pot d’écorce de bouleau qu’il portait entre ses pattes de devant, après quoi il s’enfonça dans l’obscurité à pas majestueux.

Les enfants se mirent en route, dans la neige, avec d’autant plus de hâte qu’ils voyaient la flambée de Noël briller à travers les vitres de leur maison. Mais ils n’avaient pas été bien loin quand un vilain hibou se mit à battre des ailes derrière eux.

Je veux du pain et du lait, criait le hibou

– Je veux du pain et du lait, je veux du pain et du lait ! criait le hibou, et il étendait ses longues pattes, pour griffer les enfants.

– Ah, c’est ainsi, dit Daniel, puisque c’est ta manière, je vais t’apprendre la politesse.

Et en même temps, il donna au hibou, sur les ailes, un bon coup de bâton, si bien appliqué, que l’oiseau poursuivit sa route en criant.

Peu de temps après, les enfants étaient chez eux et secouaient gaiement, dans l’entrée, la neige attachée à leurs pieds.

– Nous avons donné à manger à un loup, criait Anna.

– Et donné à boire à un ours, continuait Daniel.

– Mais le hibou a reçu un coup de bâton, éclatait de rire Anna.

Et ils racontèrent leurs aventures. Les parents se regardaient l’un l’autre, étonnés. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire, pensaient-ils, nos enfants ont fait la charité aux bêtes sauvages de la forêt !

Maintenant, c’était le soir, et la famille se mit à lire la Bible. Il y avait là de belles paroles sur la charité que même le plus humble doit exercer envers tout le monde, même envers ses ennemis, même envers les animaux. On y disait aussi que la valeur de ce qui est donné vient de la bonté du cœur.


Deux pains tendres et un 
demi-pot de lait pour festin… 
Lorsque la lecture fut finie, toute la famille se mit à table, loua Dieu et se mit à manger ce qui restait des bonnes choses que les enfants avaient rapporté de la ville. Et c’était plaisir de voir comme les enfants auraient voulu manger du pain dur et boire de l’eau pour laisser à leurs parents tout ce qu’il y avait de bon. Mais ceux-ci ne l’acceptèrent pas et partagèrent avec leurs enfants les deux pains tendres et le demi-pot de lais qui étaient tout leur festin.

Mais en mangeant, ils remarquèrent quelque chose d’extraordinaire. Ils avaient beau rompre morceau sur morceau, les miches tendres ne diminuaient pas et ils avaient beau verser rasade sur rasade, il restait toujours autant de lait dans le pot de bois.

Pendant qu’ils s’étonnaient de ce prodige, ils entendirent gratter à la fenêtre et voyez donc ! là se tenaient le loup et l’ours, leurs pattes contre la vitre. Ils montraient leurs dents et faisaient des signes de tête, d’un air plein de malice et de reconnaissance ; derrière eux on entendait le hibou voler dans l’obscurité et crier à Daniel, d’une voix enrouée :

– Petite correction, hou, hou, m’a rendu sage.

Alors le père, la mère et les enfants comprirent que c’était une bénédiction sur leur petit festin, et de nouveau, ils joignirent les mains et remercièrent Dieu.


Le matin de Noël lorsqu’ils revinrent de l’église, croyant qu’ils n’auraient rien d’autre que du pain sec et l’eau du seau, ils virent, stupéfaits, que les deux gâteaux de Noël et le lait dans le pot étaient encore intacts et aussi frais que la veille avant d’avoir été entamés.

Et il en fut toujours ainsi désormais. Aussi longtemps que la cabane fut debout et que ces braves gens y vécurent, les pains frais de Noël et le lait se renouvelèrent d’eux-mêmes sans fin.

Les joyeux pépiements des moineaux appelaient chaque année les rayons de soleil sur les petits champs autour de la cabane, si bien que là, le blé multipliait vingt fois, cinquante fois, alors que la plupart des autres champs ne portaient que de mauvaises récoltes. Et dans la chaumière basse du tenancier ce fut la prospérité et le bien-être, la prière, le travail, la charité et la joie.


Un rôti appétissant, comme le jambon du riche paysan :-)

Pendant ce temps, à son festin de Noël, le riche paysan avait trop mangé de jambon et s’était senti mal à l’aise. Pour se réconforter, il but par là-dessus trop de bière et devint plus triste encore.

Le soleil ne brillait plus comme auparavant sur ses grandes propriétés, les récoltes furent maigres et les granges restèrent souvent vides.

– Cela vient de ce que nous donnons trop aux pauvres, répétait-il, nous n’avons pas les moyens, femme, nous n’avons pas les moyens, chasse tous les mendiants.

Ils firent ainsi, mais les greniers n’en devinrent pas moins de plus en plus vides.

– Nous mangeons trop, pensa le paysan.

Il retrancha un repas dans la journée, mais cela n’en alla pas mieux. Les loups et les ours dévoraient ses chevaux, ses vaches et ses moutons ; la pauvreté était à la porte et le paysan ne pouvait comprendre comment cela était possible, alors que tout était si bien organisé à la ferme.

– Bien sûr, nous mangeons beaucoup trop, dit-il de nouveau, il faut pétrir du pain d’écorce d’arbres et faire des soupes d’airelles. Mais avant tout, femme, ne donne rien aux vagabonds et aux mendiants. Nous n’avons pas les moyens d’être charitables, nous autres.

– Je vais aller voir la famille du tenancier, là-bas, de l’autre côté du lac, proposa la femme, et leur demander comment il se fait qu’ils ont ce qu’il faut de pain, alors qu’ici c’est la famine.

– Fais-le donc, répondit l’homme, je suis sûr qu’ils doivent mener leur maison mieux que nous.

La femme s’en alla et revint avec cette réponse que souvent, chez le tenancier, on donnait aux pauvres le dernier pain et, malgré cela, ils ne souffraient jamais de la disette, car la bénédiction de Dieu le rendait au décuple.

– C’est bien bizarre, pensa le paysan, enfin essayons ; tiens, prends notre dernière miche et jette-la à cette troupe de mendiants, qui est là-bas, près de la grand’route, et dis-leur en même temps de s’en aller à mille lieues.

– Non, répondit la vieille, car il faut quelque chose de plus, il faut donner de bon cœur.

– Est-ce que cela peut bien être possible ? s’étonna le vieux, enfin donne-leur donc de bon cœur, mais avec le ferme espoir que Dieu nous en donnera dix fois plus. Nous n’avons certes pas les moyens de rien donner sans paiement.

– On doit cependant donner sans aucune arrière-pensée, dit la femme.

– Comment, on ne doit pas même espérer recevoir un merci en retour ?

– Souvent on rencontre des ingrats, mais l’on donne tout de même.

– C’est vraiment extraordinaire, reprit le paysan en secouant la tête, comment peut-on en avoir le moyen ?

Et la vieille continua :

– Le roi David dit dans ses psaumes : « J’ai été jeune et je suis devenu vieux et je n’ai pas encore vu le juste abandonné, ni ses enfants rester sans pain. »

– Ecoute, femme, dit l’homme, il y a au grenier une gerbe de blé qui n’a pas été battue. Mettons-la de côté jusqu’à Noël pour les moineaux. Ce sera toujours un commencement.


Traduit de Z. Topelius, page 220 à 230
"Contes et légendes de Finlande » L. Thomas
Collection des contes et légendes de tous les pays
Fernand Nathan Editeur, Paris


Que votre journée soit emplie de bonheur, de paix et du don... de donner ;-) hihihi


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