Cette
perspective remonte déjà à plusieurs décennies, en réalité. L’idée de
promouvoir les échanges commerciaux entre les îles de la COI (Commission de l’Océan
Indien) est née dès la moitié des années 80, à la création de l’organisation
régionale. Les successions houleuses des régimes politiques (dont Madagascar),
associées à la lenteur des prises de décisions intra et inter étatiques n’ont
pas permis de réaliser le rêve d’échanges gagnant-gagnant entre les Etats
membres de la COI.
Aujourd’hui, en plein cœur de la « crise »
malgache, le projet revient sur la table. Le Collectif TANY s’en émeut, et
lance un appel à la vigilance. Ci-dessous la correspondance adressée le 22 mars dernier à la COI et aux participants à
l’atelier qui s’est tenu à Mahajanga les 25-26 et 27 mars 2013. Pour le
Collectif TANY, l’objectif est le même : « Les différents impacts et
bénéfices pour les petits exploitants malgaches méritent davantage d'études et
d'éclaircissements. Un tel projet de coopération régionale visant la sécurité
alimentaire de l'Océan Indien doit mettre l'accent sur l'avenir des paysans de
Madagascar et des autres îles ».
Le nouveau logo de la COI en 2012 |
« Madagascar, grenier
de l'Océan Indien » :
Des engagements à
risques à mener avec précaution
Madagascar, Grande ile de la COI.... |
A l'initiative de la Commission des îles de l'océan indien (COI),
Madagascar fait l'objet d'un vaste projet de culture et d'exportation de
produits agricoles destinés à assurer la sécurité alimentaire dans cet espace
régional. Mais ce processus conçu en pleine crise politique malgache laisse
craindre des accaparements de terres qui lèseraient les paysans et les
populations, ce qui serait contraire aux objectifs fixés. La réunion des
investisseurs, opérateurs, partenaires techniques et financiers prévue à
Mahajanga, à l'ouest de Madagascar, les 25-27 mars 2013, avec la participation
du gouvernement malgache de Transition et des autorités régionales, constitue
une étape-clé vers des « engagements concrets » des différents intervenants.
Informé de la tenue de la réunion sur « la sécurité
alimentaire dans l'Indianocéanie – Investir dans la production Agricole », qui
aura lieu à Mahajanga les 25 et 27 mars, sous l'égide de la Commission de l'Océan
Indien (COI), le Collectif pour la
Défense des Terres Malgaches - TANY souhaite attirer
l'attention des participants, concepteurs et décideurs impliqués dans ce projet
visant à faire de Madagascar le « grenier de l'Océan Indien ».
Plusieurs points importants doivent être pris en considération
dans cette réunion qui s'inscrit dans la continuité d'un vaste projet agricole
à Madagascar élaboré par la COI
et s'appuyant sur les Chambres de Commerce et d'Industrie (CCI) de Madagascar. La COI , composée de 5
Etats-membres - Comores, France/Réunion, Madagascar, Maurice, et Seychelles-,
risque d'aller à l'encontre de sa mission de « resserrer les liens d'amitié et
de solidarité entre les populations, et de bâtir des projets régionaux de
développement durable, destinés à les protéger, améliorer leurs conditions de
vie et préserver les ressources naturelles dont elles dépendent fortement » (1).
Le projet se trouve
dans une phase très avancée
Tout en appuyant le processus de règlement de la crise
politique à Madagascar, la COI
a élaboré ce programme agricole depuis 2011 (2). Elle s'appuie sur un rapport
réalisé début septembre 2012 à sa demande par le consultant et expert mauricien
Shafick Osman (3). Après une réunion de « brainstorming » à Antananarivo, le
projet a été promu en objectif lors du 8e Forum des îles de l'Océan Indien à la Réunion (4) où s'est
rendue une délégation malgache de 80 membres. Un atelier préparatoire de la
rencontre Plateforme prévue à Mahajanga s'est tenu à la mi-janvier 2013 dans la
capitale malgache.
Dans le contexte politique actuel, il est illégitime de
faire progresser un tel projet agricole à Madagascar. Il faut attendre la fin
des élections présidentielles, législatives voire communales pour que des
représentants élus par les Malgaches participent aux discussions. Ce projet,
qui vise la sécurité alimentaire des populations des 5 îles, nécessitera de
vastes surfaces à Madagascar.
Selon plusieurs sources, le secrétaire général de la COI , Jean-Claude de l'Estrac,
a fait état d'une demande de concessions de terres ayant obtenu l'accord des
autorités malgaches (5). Il s'agirait de 20 000 ha dans la région
du Menabe (6). Le gouvernement malgache de Transition n'est pas habilité à
prendre de telles décisions (7) et les autorités nationales comme régionales
restent étrangement silencieuses sur les tenants et aboutissants de l'ensemble
de ce projet.
Respecter les droits
fonciers légitimes des Malgaches
Le plan de la
COI se base sur l'idée dangereuse qui considère Madagascar
comme un réservoir de terres cultivables pour l'Océan Indien occidental car il
constitue « 90% des terres arables de la
COI » et en raison de l'existence de vastes zones non
cultivées (8).
Il est important de souligner qu'une partie des terres
malgaches est constituée de montagnes aux pentes trop abruptes pour permettre
des cultures, de millions d'hectares de carrés miniers, de zones forestières et
d'aires protégées. Les surfaces que certains considèrent comme « vacantes et
sans maître » sont occupées par des paysans qui y vivent et les cultivent
depuis des générations ou les utilisent pour l'élevage extensif et les
pâturages. Les conflits sur les terres les plus fertiles opposant les
communautés locales avec leur modèle d'agriculture familiale aux nouveaux
investisseurs sur les terres agricoles, sont connus à Madagascar, et la
concurrence entre opérateurs sur les rares terres propices à l'agribusiness est
documentée par l'Observatoire du Foncier (9).
A l‘instar des
Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers
applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la
sécurité alimentaire nationale de la
FAO (10), le dernier rapport de la Banque Mondiale
intitulé Croissance de l'Afrique : libérer le potentiel du secteur
agroalimentaire (11) réaffirme la nécessité de respecter les droits d'usage
coutumier des terres des familles rurales pour leur propre subsistance et le
développement de leurs revenus.
Ces droits fonciers légitimes doivent être pris en compte de
manière effective et sérieuse par toutes les parties prenantes du programme de la COI. Dans le cas
contraire, ce projet destiné à la sécurité alimentaire des populations des îles
de l'Océan Indien constituerait une source d'« accaparements de terres » à
Madagascar en lésant les droits de la population malgache et en portant
atteinte à sa sécurité alimentaire.
L'exigence de
transparence et de bénéfices pour les paysans
Trois régions sont d'ores et déjà identifiées comme zones
pilotes. Les populations locales ont-elles été consultées dans le Menabe,
notamment sur la zone de 20
000 ha déjà évoquée, ainsi que dans le Vakinankaratra,
destinés à la culture et l'exportation de riz, et dans la Sofia pour la production
d'oignons ? (12). Quelles propositions concrètes ont été formulées pour les
paysans concernés ?
Une totale transparence sur le projet de la COI est requise : cartographie
précise des zones identifiées, type d'appropriation foncière et de transaction
(bail emphytéotique, achat, etc.), mode de production agricole prévu dans
chaque cas (contrat avec les petits exploitants locaux ou agribusiness), nombre
d'emplois pour les travailleurs malgaches créés par les sociétés agricoles,
revenus attendus des taxes à l'exportation, etc..
A la
Réunion comme à Maurice, des institutions et autorités
publiques mettent en œuvre dans le cadre de ce projet une stratégie
d'investissements dans l'agriculture sur les terres malgaches. Dès mars 2011,
le Ministre des Affaires Etrangères de l'île Maurice Arvin Boolell a encouragé
les opérateurs économiques mauriciens à s'intéresser à Madagascar (13), alors
que le Conseil Général de la
Réunion a investi dans la recherche sur le riz bio malgache (14)
et souhaiterait acquérir des rizières selon certaines sources (15).
Reste que l'ancien président de la Chambre d'Agriculture de La Réunion a émis des
réserves vis-à-vis du projet de faire de Madagascar le « grenier de l'Océan
Indien ». Il insiste pour que l'accord soit limité au riz et craint que
d'autres produits malgaches inondent les marchés locaux au détriment des
productions locales de la
Réunion.
Côté malgache, le ministre de l'Agriculture a, lui, déclaré
que « L'objectif est d'avoir une autosuffisance en riz d'ici 2018 avec une
production de 12 millions de tonnes » (16),
mais aucun élément concret ne vient corroborer une telle affirmation. A
l'initiative des CCI, des représentants régionaux ont été amenés à négocier
directement avec des investisseurs lors du dernier Forum des Îles de l'Océan
Indien à La Réunion
(17).
Les différents
impacts et bénéfices pour les petits exploitants malgaches méritent davantage
d'études et d'éclaircissements. Un tel projet de coopération régionale visant
la sécurité alimentaire de l'Océan Indien doit mettre l'accent sur l'avenir des
paysans de Madagascar et des autres îles.
Paris, 22 March 2013
The Collective for the Defense of Malagasy Lands – TANY
patrimoinemalgache@gmail.com
www.terresmalgaches.info
http://www.facebook.com/TANYterresmalgaches
Références :
(1)
http://economy.ioconline.org/fileadmin/Regional_food_security/Note_conceptuelle_journalistes.pdf
(2)
http://www.federationccimada.org/files/conceptnote-tableronde-mjn.pdf
(3)
http://www.newsmada.com/index.php/newsmadarss/5-opinion-et-debat/3955-shafick-osman-l-une-plateforme-sadc-coi-pourrait-etre-tres-positive-pour-votre-pays-en-ce-moment-r#.UUTTYFclKOg
(4)
http://economy.ioconline.org/fr/securite-alimentaire-regionale/8e-forum-economique-des-iles-de-locean-indien-reunion-28-au-30-novembre-2012.html
(5)
http://french.news.cn/afrique/2012-08/27/c_131809227.htm
(6) http://www.lexpressmada.com/cooperation-regionale-madagascar/38975-la-cooperation-agricole-prioritaire.html
(7)
http://lexpressmada.com/feuille-de-route-pour-la-sortie-de-crise-a-madagascar-madagascar/27525-engagements-des-acteurs-politiques-malgaches.html
article 8
(8)
http://society.ioconline.org/uploads/media/Discours_du_SG-er_forum_EFOI_oct2012__2__01.pdf
(9)
http://www.lagazette-dgi.com/index.php?option=com_content&view=article&id=28484:grenier-de-locean-indien-un-projet-en-gestation-pour-soutenir-le-pays&catid=45:newsflash&Itemid=58,
http://www.lexpressmada.com/5426/riziculture-madagascar/40154-deux-nouveaux-greniers-a-riz-en-vue.html
(10)
http://www.observatoire-foncier.mg/downloads/After-Daewoo-engl-2011.pdf
(11) http://www.fao.org/fileadmin/templates/cfs/Docs1112/VG/VG_Final_FR_May_2012.pdf
articles 3b6, 3b8, 3b9, 7.3, 9.9, 12.2
(12)
http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2013/03/04/africa-agribusiness-report
(13)
http://www.acclimate-oi.net/en/adaptation-securite-alimentaire-cooperation-regionale-riziculture-maurice%20%20
http://www.lagazette-dgi.com/index.php?option=com_content&task=view&id=11363&Itemid=57
(14)
http://madagascar.cirad.fr/recherche_en_partenariat/cooperation_dans_l_ocean_indien/qualireg
(15) http://www.clicanoo.re/355651-la-reunion-veut-acheter-des-rizieres-a-madagascar.html
(16)
http://blog.pierreverges.fr/ocean-indien/cooperation-co-developpement-madagascar-veut-devenir-le-grenier-de-locean-indien
(17)
http://www.newsmada.com/index.php/economie/3451-feioi-madagascar-est-de-la-partie#.UUTU11clKOg
Feioi : Madagascar est de la partie
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